
Second récit (19 mai au 7 juin)
par Pauline Giard-Rivière
Dimanche 19 mai
Arrivée de Paul et d'Yvonne REQUILLART à 2 heures du matin dans la Simca,
puis de François à 3h sur la moto.
Dans la matinée téléphone de René (fils) : faire partir les enfants. A 14h, départ
de Paul dans la Simca avec les jumeaux, suivis dans la Citroën d'Antoine, Marie-Jo,
Odile, Aline MOTTEZ, Colette, Marie-Paule ; Louis MOTTEZ et Emmanuel s'en
vont à bicyclette. Départ d'Evelyne LEFEBVRE en camion avec François comme
pilote, et la moto dans le camion jusqu'au Crotoy. (Camion acheté le jour même par
Evelyne LEFEBVRE pour évacuer vers Dinan).
Promenade le soir sur la digue et la falaise : mer et ciel calmes et splendides.
Bateaux belges ; trois navires de guerre passent rapidement au large. Pourquoi partir
? Dans la nuit de dimanche à lundi : bombardements violents. Journée d'angoisse.
Antoine reviendra-t-il ? et quand ?... Nous cherchons d'autres moyens d'évasion,
mais en vain. Pensons à Louis et Emmanuel en route.
Dans la nuit de lundi à mardi, bombardements encore plus intenses, la maison
tremble. Si aucune voiture ne peut nous emmener, nous partirons à pied avec le
chariot. Nos bagages se réduisent d'heure en heure.
Mardi 21 mai
En allant à la messe, aspect inaccoutumé de Wimereux. Mr le curé part dans la
voiture de Mr LESAY ; le bedeau Alexandre distribue les ornements d'église aux
personnes qui restent.
Nous allons immédiatement prévenir Eugène TELLIER ; Thérèse va chez
Adolphe TELLIER où nous nous donnons rendez-vous pour partir dans son
camion. Rien à faire. Eugène TELLIER qui m'y a conduite avec ma valise me
propose de continuer avec lui pendant que les autres suivront à bicyclette. Je ne
revois plus Thérèse (qui a rencontré les Auxiliatrices) ! Embouteillage formidable
sur les routes d'autos, camions, voitures militaires dans tous les sens. Bicyclettes et
piétons par dizaines de milliers : chariots en tous genres, enfants ! A Etaples,
refoulement. On ne passe plus ! Embouteillages par toutes les routes.
Où sont Thérèse, Yvonne et J.M. FOULON ?
En revenant à Wimereux, ... joie ! La porte est ouverte et les deux filles sont là :
elles ne nous quitteront plus.

Condette
Décision de repartir immédiatement à pied par la plage avec les Adolphe
TELLIER ; l'heure presse, nous laissons tout. Chacun un sac et une couverture. En
deux autos jusqu'à Condette où l'on nous réquisitionne les voitures. Marche à
travers la forêt en se cachant dans les fourrés pour éviter les bombardements par
avions.
Par la plage, arrivée à St-Gabriel.
Mercredi 22 mai
Passons la nuit dans un garage de minuit à 3h1/2 du matin ; à Merlimont,
avant Berck, grande agitation et angoisse générale. Repartons pour regagner la
Canche : traversée entre 5 et 8h. Dernière étape très fatigante à cause du sable, mais
arrivée vers 5h du soir à Berck où nous retrouvons Jeannette GIARD qui attend sa
mère, ainsi que trois Auxiliatrices séparées de leur communauté. Nous nous
réconfortons ensemble et passons la nuit dans un pavillon de l'Institut.
Jeudi 23 mai
(Fête-Dieu). Messe à 7h célébrée par Mgr DUTOIT. Visite aux mères
Auxiliatrices dans leurs chambres. Au revoir à Jeannette et partons à midi après
déjeuner à la terrasse (sardines au vin blanc, haricots verts). Les mères Auxil. sont
parties pour Boulogne. Réflexion d'Adolphe : "J'ai hâte d'être en route, je m'ennuie
dans les maisons". Départ pour la baie d'Authie par la plage. Avec Thérèse, Yvonne
et Eugène TELLIER, nous poussons une pointe jusqu'à Waben : Mme DELATTRE,
Dr BARBRY, Mr MIRAMBO, et tous leurs enfants. Réunion dans l'accueillante
maison : réconfort.
Sur la route sont passées des voitures motorisées.
Nous traversons l'Authie en barque, aidés par deux jeunes gens. Nuit dans
une immense grange sans toit, à la belle étoile.
Vendredi 24 mai
A Fort-Mahon, rencontre avec les BAVARD, congratulations ; ils nous
emmènent jusqu'à Quend où nous passons une nuit dans une bonne grange :
beaucoup de paille.
Samedi 25 mai
Nous repartons vers midi pour Rue et Le Crotoy. Les Belges nous suivent ;
triste route. Au Crotoy, arrivée désagréable, mais bonne rencontre avec les THERY.
Mr et Mme MICHAUX nous reçoivent pour la nuit.
Dimanche 26 mai
Messe à 8h30 ; foules, aperçu C. BOULANGE et leur fils François, déjeuner en
compagnie de Mr DEVELDER. Thérèse et Yvonne l'accompagnent jusqu'à la ferme
pour le ravitaillement en pain et en rapportent une oie. J.M. FOULON était avec
elles. Conversation avec Mme THERY ; visite aux BOULANGE.

Le Crotoy : la plage
Lundi 27 mai
"Saints Anges, priez pour nous" ; messe à 7h.
On dit les Allemands partis ... ***
Mardi 28 mai
Messe à 7h30 ; visite de Robert DEVELDER (62 rue Léon Mignon à Bruxelles).
Rencontré Mme LEFEBVRE de Péronne.
*** ... mais ils reviennent plus nombreux !
Mercredi 29 mai
Visite à Mme LEFEBVRE ; rencontré les BOULANGE et les THERY. Nous
déménageons ; Thérèse, Yvonne et moi, nous nous installons dans "une maison".
Chambre derrière celles des TELLIER ; liberté dans l'esclavage !
Jeudi 30 mai
Messe de 7h30 ; rencontrons Auguste désemparé
(cf. récit TELLIER). Adolphe
nous rapporte des pommes de terre, salades, lait. Mme BEUSMAN triste (Edgar
WEINBERG - 11 place Champerret à Paris, 229 rue du Trône à Bruxelles).
Les THERY deviennent nos voisins. Robert reparaît.
Vendredi 31 mai
Fête du Sacré Coeur : foule à la messe de 7h30. Les Allemands mitraillés se sont
en partie enfuis. Louis JAFFE nous apporte sa soupe à cuire.
"Coeur Sacré de Jésus, j'ai confiance en vous".
Dans la nuit, bombardement au loin.
Samedi 1er juin
A 10 heures, visite du St Sacrement.
Abrasha BELSKY nous fait part de ses impressions. Robert et Auguste dînent
avec nous ce soir. Robert est perplexe : il est allé cet après-midi dans la direction de
Noyelles et a appris confirmation de la capitulation de la Belgique. Il ne sait que
faire.
Mr THERY me prête des livres et me sauve la vie.
"Turenne me redonne confiance en Weygand".
Couture.
Dimanche 2 juin
Messe à 8h ... avec cloches ; foules.
Nous rencontrons Paule DANES, elle ne sait pas où est son mari. Lointain et
violent bombardement dans la nuit.
Lundi 3 juin
(Ste Clotilde). Auguste a trouvé du travail dans une ferme ; allons à Favières
avec les filles. Adolphe est sombre.
Violent et plus proche bombardement la nuit, jusqu'au matin.
Mardi 4 juin
Bombardements toute la nuit. Robert s'occupe avec enthousiasme de la Croix
Rouge et réquisitionne le train sanitaire.
Lecture : Turenne par Weygand. Réconfort.
Adolphe et Gisèle sont allés en reconnaissance vers les camions dévastés que
nous avons rencontrés hier. Croix Rouge, aviation, etc.
Promenade sur la plage face à la terre promise ; soleil.
Bombardement à 8h ; nous nous éloignons de la maison. Nuit mouvementée :
scène de la bougie, changements de lits.

Bombardiers allemands Junker87 : les stukas
Mercredi 5 juin
L'église a été touchée hier à son petit portail, démoli au-dessus des fonts
baptismaux.
Soirée d'agonie : "Jésus, faites que ce calice s'éloigne".
Messe à la chapelle N.D. de Lourdes, célébrée par le petit prêtre.
Jeudi 6 juin
Je fais dire une messe pour les âmes du purgatoire. On continue de n'entendre
aucune canonnade. Journée offerte pour que les enfants aient de la volonté. Nous
allons au devant des trois filles à Favières. Nombreux avions alliés commencent à
bombarder les noeuds des routes. Le soir, conversation intéressante avec Mr THERY
: vue générale. Providence pour la chrétienté en péril, batailles de Poitiers, de
Lepante, etc. Familles nombreuses, blé qui lève ...
Avions et tanks comme moyens de retenir l'adversaire qui avance toujours
vers le sud. Mr BARROIS
(père de Mme THERY) n'en a plus que pour un jour ou
deux. La nuit, violents, mais trop tardifs bombardements par avions autour de nous.
Vendredi 7 juin
Premier vendredi du mois.
Mme THERY nous amène sa petite Monique. Courage et confiance : "Coeur
Sacré de Jésus, j'ai confiance en vous".
Adolphe devient cordonnier !
Suite ...
© Dominique Giard 2004.