Introduction
par Paul Giard
Les récits que nous rapportons ci-après ne sont pas un journal des événements
militaires qui ont bouleversé notre région en mai 1940.
Ils ne sont pas non plus l'histoire des drames innombrables survenus à cette
période dans la plupart des familles, la nôtre en particulier, projetées sur les routes
de France par ces belles journées d'un été ensoleillé, fuyant l'invasion allemande
qui s'abattait sur une population jusque là paisible, mais engagée depuis le début de
septembre 1939 dans une guerre que nul ne désirait et à laquelle elle n'était pas
préparée.
Le cours de cette guerre avait brusquement changé à partir du 10 mai et la
progression foudroyante des Allemands avait fait fuir tout d'abord la population
civile belge (les bicyclettes aux couvertures rouges ...), puis, par voie de contagion, les
populations du Nord et du Pas-de-Calais. Tout ce monde se souvenait de l'épreuve
qu'avait été l'invasion 14 et chacun cherchait son salut dans une fuite vers le midi,
par tous les moyens possibles, pour ne pas tomber aux mains de l'ennemi,
tristement connu pour sa barbarie.
Ces récits sont extraits de deux sources principales, et ils ont été rédigés pour
l'essentiel par notre cousin, Eugène TELLIER fils (4, av. de Lattre de T. à Wimereux -
62930), actuellement à la retraite après sa carrière de Directeur à la Banque de France.
1° Eugène TELLIER a eu d'abord l'idée de reconstituer, à partir d'un carnet de
route tenu par son père, Eugène TELLIER (1891-1961), l'évacuation en mai-juin 1940
de la famille TELLIER-GIARD, qui cherchait, partant de Wimereux où elle
demeurait (villa "La Tempête", avenue de la Mer), à gagner Dinan en Bretagne, où
elle avait un refuge possible.
Les TELLIER ont donc quitté Wimereux en voiture le lundi 21 mai, avec
Eugène TELLIER père, Monique, Gilbert, Cécile, Elisabeth, Michel et Jacques. Ils ont
ainsi gagné Londinières en Normandie, après être passés par Le Tréport.
Eugène TELLIER père regagna seul le même jour Wimereux. Il en repartit le
mardi matin, 22 mai, avec son épouse et sa fille Marcelle, en emmenant avec eux
notre mère Pauline GIARD, accompagnée de Thérèse, d'Yvonne REQUILLART et
de J.M. FOULON.
Ce second groupe s'agrégea à Boulogne d'autres membres de la famille
TELLIER, mais très vite leurs voitures se firent réquisitionner par des Anglais en
forêt de Condette et ils durent poursuivre leur exode à pied en cheminant sur les
plages jusqu'au Crotoy.
2° Eugène TELLIER fils ignorait jusque maintenant l'existence de la deuxième
source de renseignements concernant cet exode. Et c'est ainsi que j'ai été amené à lui
communiquer des extraits d'un carnet de comptes que notre mère, Pauline GIARD-
RIVIERE, tenait régulièrement. Comme beaucoup de ménagères elle y inscrivait
jour par jour ses dépenses, notant aussi les principaux événements de la journée,
ses réflexions, les fêtes religieuses et celles de ses enfants, des prières et des
invocations, ses lectures et son courrier à faire ...
Il ne s'agit donc pas d'un "journal", mais de notes marginales qui permettent
de reconstituer d'une manière très vivante et spontanée les principaux événements
et surtout les réactions, sentiments et idées qu'ils provoquent chez notre mère.
Eugène TELLIER fils a donc rédigé, à partir de cela, un deuxième récit du même
exode que celui relaté par son père, se servant de ce dernier parfois pour rectifier les
dates et les noms de lieu notés par notre mère.
Le rapprochement des deux récits est d'un grand intérêt. L'un et l'autre sont
très émouvants et forcent l'admiration.
Je rappelle que le premier récit est celui d'un chef de famille accompagné de sa
femme et d'une de leurs filles. C'est un ancien officier de la guerre 14. Il connaît
bien toute la région et il a toujours le souci de l'organisation, de l'exactitude pour les
dates et les heures, les noms des localités, les logements possibles ...
Le second récit est rédigé en marge d'un carnet de comptes par une mère de
famille nombreuse, frappée par la mort récente de son mari (6 mars 1940). Elle
venait d'être séparée de presque tous ses enfants, qu'elle devait en principe
rejoindre très vite, mais qui ont été coupés d'elle par la percée allemande. Malgré
cela elle restait en communion avec eux, avec les vivants et les morts. Elle puise son
courage et son énergie dans cette communion. La messe et la prière sont ses
nourritures quotidiennes. Les anniversaires et les fêtes des saints l'accompagnent et
la réconfortent. La poésie de la mer et celle de l'admirable campagne qu'elle traverse
l'enchantent dans les moments difficiles ...
Paul GIARD
janvier 1991.
Présentation
par Eugène Tellier
En cette année 1990 qui est marquée par le cinquantenaire de ces événements,
j'ai cru bon de reproduire les relations qu'avaient faites de leur évacuation en mai-
juillet 1940, d'une part mon père Eugène TELLIER-GIARD, et d'autre part sa belle-
soeur Pauline GIARD-RIVIERE.
Les récits se recoupent, mais chacun fait bien ressortir le tempérament de son
auteur : précisions à l'extrême pour mon père (cf. horaires par exemple), forte
émotion d'une mère de famille et piété exemplaire, pour tante Pauline.
Je pense que le lecteur se fera une idée de cette extraordinaire "aventure",
notamment celle de trois mères de famille qui avaient eu la charge d'élever au total
39 enfants ! (dont deux seulement les accompagnaient).
A ma connaissance, ma soeur Marcelle est la seule survivante de ce groupe ;
elle a relu ces textes et en a confirmé les détails évoqués, tout au moins jusqu'au 15
juin, date à laquelle le groupe se scinda.
Eugène TELLIER.
P.S. Mon grand-père TELLIER auquel il est fait allusion, âgé de 80 ans, était atteint de
la cataracte, ce qui peut expliquer en partie sa mauvaise humeur, heureusement pardonnée.
© Dominique Giard 2004.