
Premier récit (20 juin au 7 août)
par Eugène Tellier-Giard
Jeudi 20 juin
Installation, balayage du verre cassé. Par les voisins, nous avons quelques
détails ; puis nous trouvons une lettre et une dépêche de Monique à sa tante qui
donnent une relation sur son voyage à destination de Dinan, par Lison Nous
apprenons que Anne-Marie DESCHAMPS-HUSSON est arrivée à Caen juste à
temps pour accoucher d'un fils. Ravitaillement assez facile : boucherie charcuterie
épicerie ; du pain (400 g), mais ni eau potable, ni gaz, ni électricité. Le beurre coûte
3F50 la livre, le lait 1F le litre.
Vendredi 21 juin
Nous avons la visite de Mme GOUJARD, femme de ménage d'Anne-Marie.
Elle nous donne de nombreux détails sur les enfants, leur séjour ici, et leur départ
ainsi que sur celui des HUSSON et DESCHAMPS.
Samedi 22 juin
Au marché : légumes, oeufs à 8F la douzaine, poisson salé. Je remplace les
carreaux cassés par de la toile.
Avec père, nous buvons un verre de bière, le premier depuis un mois.
Dimanche 23 juin
Messe à 8h30 ; après-midi d'orage. J'apprends qu'un voisin, Mr LEBORGNE
doit repartir pour Caen. Marcelle écrit à son frère Jules, à sa soeur et à Pauline.
Lundi 24 juin
Rien à signaler.
Mardi 25 juin
Nous apprenons que l'armistice a été signé dimanche.
Mercredi 26 juin
Le service des Postes recommençant à fonctionner, et ayant l'occasion de faire
porter une lettre à Rouen, nous écrivons aux enfants à Dinan.
Après midi, l'eau commence à couler aux robinets. Nous ne serons plus obligés
de pomper à la citerne. Les W.C. fonctionnent normalement. Depuis plus d'un mois
nous ignorions ce confort. Nous en avons connu de tous les modèles : à Millebosc, il
n'y avait que les herbages !
Vendredi 28 juin
Vers 5 heures, Jeanne (HUSSON), Anne-Marie, Françoise et Geneviève,
Brigitte et le bébé Alain arrivent en voiture. Voyant la maison occupée, elles ont la
frousse que ce soit par des Allemands ; la peur fait place à la joie ! Elles étaient
parties la veille de Combourg (Ille-et-Vilaine), où elles avaient passé quelque temps.
Elles nous donnent de bonnes nouvelles des enfants qu'elles ont vus auparavant.
Elles nous annoncent hélas le décès de Etienne GIARD, tué par une bombe d'avion
pendant son sommeil.
9 juillet
Je pars le matin pour Motteville où j'ai la chance d'arriver à temps pour
prendre le train de 8h32 qui m'amène à Rouen à 9h12. Je vais chez P. & K. (maison
de vins) ; Mr H... est parti et n'est pas revenu. Je vais à Petit-Quevilly où je trouve
Henri et Marthe (chez les parents de Marthe HUSSON PECQUEUR).
10 juillet
Le matin, je fais un tour dans St-Sever avec Henri ; l'après-midi, Henri et
Marthe me ramènent en voiture à Doudeville où ils passent la soirée pour regagner
Londinières le lendemain. Au souper, père offre une bouteille de Champagne en
l'honneur de son 80e anniversaire.

Dinan
12 juillet
Nous décidons de partir pour Dinan. Nous quittons à 13h Doudeville dans la
charrette de Mr ROUGEROLE pour arriver à Yvetot avant 15h ; ce voyage nous
rappelle notre jeune temps !
Le train, pris à 15h20, nous amène rapidement à Rouen.
Nous prenons un commissionnaire dès que la pluie d'orage est terminée, et
gagnons la gare de la rive gauche. Là, nous apprenons que le train de 8hl0 du matin
était reporté à 13hl0. Nous laissons une partie des bagages à la consigne, et après
avoir bu un verre de bière, nous allons à Petit-Quevilly chez les PECQUEUR,
lesquels ne sont pas encore rentrés. Nous pouvons cependant coucher chez eux.
Samedi 13 juillet
Nous faisons quelques courses, mangeons tôt, puis gagnons la gare où nous
prenons le train sans savoir où il nous conduirait. Nous passons par Glos-Montfort
(arrêt de 1/2 h), Laigle à 17h45, et arrivons à Argentan à 19h43. Nous y trouvons
difficilement une chambre à l'hôtel du Cheval Blanc.
Dimanche 14 juillet
Nous prenons le train à 6h28 du matin ; toujours de nombreux arrêts dans les
gares. Nous sommes à Caen à 8h45 et à Lison à 10h40. Changement de train pour St-
Lô, Coutances. A Foligny, nous voyons des débris de la gare et des trains ; nous
arrivons à Dol à 16h45. Nous soupons et couchons au buffet de la gare où nous
rencontrons un patron de pêche d'Etaples, Mr ROUX, sa femme et son fils.
Lundi 15 juillet
Départ de Dol à 9h40 ; nous arrivons enfin à Dinan vers 10h40. Quelques
moments après nous sommes au pensionnat où nous trouvons les enfants en
bonne santé, ainsi que leur tante Madeleine. Ils avaient eu vendredi la visite
d'Adolphe qui n'avait pas encore retrouvé ses enfants.
Jeudi 18 juillet
Aller et retour à Caen pour tenter de revoir les Jules GIARD, non rentrés.
25 juillet
Nous nous installons au 26 de la rue Kitchener où nous arrivons le soir sous
une pluie battante. Il faut procéder au nettoyage complet de l'appartement qui
comprend deux grandes pièces, une petite chambre, une cuisine et arrière-cuisine.
La propriétaire, Mme CHOMEL, est très aimable.
29 juillet
Nous apprenons par une lettre de l'oncle Edouard TELLIER que Suzanne et
André TETART étaient à Plerguer. Nous décidons avec Marcelle d'aller les voir
l'après-midi par le train de 15h40 qui part avec plus d'une heure de retard. Nous
voyons André et ses parents. Puis nous nous mettons en route pour le retour de 18
km à pied ; au bout de 3 km, un camion allemand nous prend et nous ramène à
Dinan.
1er août
Suzanne et André TETART viennent passer la journée avec nous.
3 août
Eugène fils que nous n'attendions que la semaine suivante arrive à 7 heures
du soir ; il est venu de Dôle à Dinan dans un camion allemand ; nous sommes enfin
tous réunis.
4 août
L'abbé FLAYELLE vient déjeuner avec nous ; nous passons une excellente
journée : promenade sur les bords de la Rance.
(De famille valenciennoise amie des GIARD, l'abbé FLAYELLE était mobilisé
comme officier dans un corps de santé ; il fut fait prisonnier mais resta quelque
temps à Dinan où il bénéficiait d'une certaine liberté de circuler ).
6 août
Eugène nous quitte pour rejoindre son poste à St-Nazaire. Les locataires du
premier étage étant partis, nous occupons l'appartement en attendant qu'il soit loué.
7 août
Une lettre de Doudeville nous donne des nouvelles de François DESCHAMPS
qui est prisonnier. Sa soeur Marguerite est à Lambersart. François GIARD doit être à
Lille. La corderie de Clémence est détruite. Pas de nouvelles d'André HUSSON.
---Fin du récit---
N.B.
Nous n'avons malheureusement pas eu connaissance d'une narration faite par
Adolphe TELLIER ; ses enfants avaient eu pour consigne de rejoindre Blois où un
parent des THUILLIEZ était directeur de la Banque de France ; ils furent finalement
détournés sur Fougères. Adolphe et Gisèle firent pas mal de bicyclette pour les
retrouver ; ce n'est qu'en revenant vers Noisy-le-Sec qu'ils apprirent que les enfants
étaient bien à Fougères. Leur père alla les retrouver pour les ramener dans la région
parisienne, en attendant de repartir, deux ans plus tard, à Villefranche-de-Rouergue
; mais la fille aînée Geneviève qui avait épousé un BRASSEUR resta à Noisy où le
jeune ménage fut tué lors d'un bombardement.
E.T.
Suite ...
© Dominique Giard 2004.